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La patine Malfroid : un oeil sur la couleur

 

La patine est une démarche. Trop sophistiquée de prime abord pour beaucoup d’hommes, elle paraît souvent très loin de soi, parfois intimidante, artificielle ou prétentieuse.

 

Manifeste de la discrétion

Il faudrait pouvoir repartir de zéro, sans préjugés et se familiariser avec une idée qui n’est pas évidente : le soulier comme toile blanche. Un infini des possibles : couleurs, contrastes, effets. Un défi.

Les Écossais, à propos d’un de leurs single malt tourbés invitent à la persévérance : « make the effort, broach acquaintance and you’ll have a genuine friend for life ». On conseillera pour arriver à la patine, la même persévérance.

Car elle nécessite, indéniablement, cet effort de conversion : comme un palais doit s’habituer à trouver du plaisir à l’amertume ou dans la force déconcertante d’une saveur nouvelle.

A force, la patine qui se présentait d’abord comme ce paysage vaste (et brumeux) qu’on abordait avec méfiance au détour de son chemin « sartorial » va s’éclaircir peu à peu et sa géographie devenir plus familière. On y repère ses coins favoris, on y plante ses habitudes. On ne fait rarement qu’une seule patine dans sa vie.

De patines il y en a sans doute autant que de façons de porter un soulier patiné. Autant de patines, donc, qu’il y a de vestiaires et de styles masculins. Le meilleur et le pire s’y côtoient. N’allons donc pas trop vite et évitons d’emblée d’en faire trop, trop vite. L’élégance demande d’abord de la mesure. En fait de patine, il s’agit même de sur-mesure.

A terme, maîtriser la couleur et l’aspect de ses souliers est une récompense qui fait entrer de plain-pied dans des degrés supérieurs de plaisir et de raffinement auquel on prend vite goût. Un luxe ? Peut-être. Dans le sens ou l’on crée un objet unique, aligné sur des désirs enfantés par son imaginaire.

C’est beau non ? Penser que chaque patine a son imaginaire comme seule limite. Ah l’imaginaire, ce moteur puissant, cet animal fougueux qui, lâché dans l’arène (si pleine d’obstacles) du vêtement & de la chaussure demande de l’adresse, une conduite adroite et maîtrisée pour en tirer le maximum de puissance (de style, en somme !), en toute sécurité. Pourquoi vouloir partir au galop ou pied au plancher vers des choix de patines hasardeux ? Comment ne pas se tromper ?

 

Évitons d’emblée tout faux-pas…

Pour nous, une patine réussie vient le plus souvent (pour commencer en tous cas) du noir vers la lumière. Le noir laisse échapper la couleur qui, gardant des profondeurs un manteau de mystère, se dévoile par contrastes, volutes ou transparences et dans les reflets du cuir ciré. La couleur ne se donne pas mais se conquiert : l’œil doit avoir la sensation d’un soulier différent des autres souliers mais ce sentiment devrait rester inexplicable, comme irrésolu. Les regards insistants devront fouiller la couleur pour la trouver. A l’inverse une patine trop voyante, clinquante, vive et c’est rapidement du spectacle…

Une patine réussie, même dans des tons clairs, n’attire pas l’attention : elle doit rester furtive, passante, déjà loin, à peine reconnue et pourtant distinguée, espiègle mais alors sérieusement… et sobre surtout, surtout !

L’œil doit glisser sur un soulier patiné sans s’y attarder car ce qui doit intéresser, c’est vous, votre personne. Pas vos chaussures.

Mais élaborer une patine c’est maîtriser bien plus que la couleur.

Car une fois la (ou les) couleurs choisie(s), il faudra déterminer la façon dont vous souhaitez que celle(s)-ci se déploie(nt) et s’anime(nt) sur le soulier.

Il existe trois ‘familles’ de finitions que nous détaillons ci-dessous. Puisse votre imaginaire être titillé !

 

l’effet uni : le soulier est coloré en pleine teinte, il n’y a pas de jeu particulier avec la couleur. Malgré tout l’uni réalisé à la main présente d’infinies nuances visibles de près seulement mais qui donnent au soulier une profondeur et au cuir une vibration incomparables. Prenons une patine au noir, toute simple, sans effets : sa densité et sa vibration seront différentes d’un cuir traditionnel coloré dans un bain au moment du tannage du cuir, car le pigment déposé par les coups du pinceau sur le soulier l’aura imprégné de façon non uniforme d’abord, s’égalisant ensuite, mais à son rythme, avec d’infimes variations du grain. Le glaçage (émulsion de cirage et de gouttelettes d’eau) viendra parfaire ce lent cheminement de la couleur dans la matière !

l’effet pinceau : le coup de la brosse ou du pinceau est laissé visible. Le soulier est dynamique, la couleur ainsi tracée semble en mouvement sur le cuir.

l’effet museum : volutes, nuages, sfumato… la couleur est libre, les contours imprécis, les effets tournoyants, les contrastes, les accidents heureux sont laissés, comme le peintre fait sa toile. On peut à son aise jouer avec plusieurs couleurs, créer une profondeur infinie, donner la sensation de la patine du temps, de l’usure naturelle !

Nos souliers sont patinés dans les ateliers de nos boutiques. Au pinceau, à la brosse, au tampon, avec des temps de séchage et un geste technique pour obtenir un beau travail « fait maison », au cœur de Paris. Une patine peut compter jusqu’à 5 voire 7 passages de couleurs avec parfois un effet et une couleur différents par passage. La complexité qui en résulte doit toujours paraître fluide, riche mais cohérente. Construite.

 

La patine : la quête de l’accord parfait.

La patine d’un soulier c’est la quête d’un absolu sans cesse renouvelé, celui de l’accord parfait : avec son costume, ses chaussettes, la météo, son humeur, l’air du temps, une rayure de sa cravate, sa chevelure, ce ton si particulier de sa pochette à pois ou le manche en bois noueux de son parapluie préféré. On devrait pouvoir raconter une histoire pour chacune de ses patines et l’enrichir ainsi d’un récit personnel qui fait sens. « Avoir une bonne raison », être dans l‘intention plutôt que dans la démonstration. C’est la clé pour choisir une patine qui sied.

Une quête donc, nullement par vanité, non pas pour épater la galerie : le contraire justement. Quête réfléchie ou spontanée (sprezzaturesque !), humble, dialogue intérieur construit pour son plus secret plaisir, pour le jeu délicat et personnel de la correspondance. Oui, pour le plaisir de créer des liens secrets, à peine visible entre des objets, avec des matières ou vis-à-vis un accessoire.

Lien avec le monde spirituel (l’élégance est aussi de cette sorte de lien, non ?) et la patine devient synesthésie. On pense à « Correspondances », ce poème sensationnel de Baudelaire.

On pourrait composer une patine comme d’autres font un parfum…

(…)

II est des parfums frais comme des chairs d’enfants,

Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,

– Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l’expansion des choses infinies,

Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,

Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.”

 

                                                  Correspondances, Baudelaire