M comme Malfroid

C comme COLORISTE

– De l’oeil et du pinceau : portrait de Karl Collas, le coloriste de Malfroid –

L’abécédaire “M comme Malfroid”

est une série d’articles inspirée de choses vues,

lues, entendues, d’actualité ou non que nous aimons

et que nous partagerons ici, sur notre blog.

 

Qui réalise, en boutique, tout au long de l’année les patines des souliers Malfroid ? Qui répare les cuirs usés, griffés, décolorés, tachés de vos souliers (et plus rarement, mesdames, de vos sacs !) ? Qui bichonne, crème, cire et glace ?

C’est l’artiste et coloriste Karl Collas, peintre, designer et architecte d’intérieur (diplômé de l’École Bleu), personnage puissant, attachant, charmeur, fumeur, blagueur, fort en gueule, français !

Au fil du temps, après des années de travail au bureau patine des deux boutiques Malfroid, le cuir semble céder un à un ses secrets à Karl qui sait si bien le prendre, le manipuler, brosser, peindre, frapper, tamponner, lisser et caresser en peaufinant chaque fois une technique aussi artistique que physico-chimique, et qui, ce faisant, repousse par plaisir la limite de ce qu’il est possible ou pas de réaliser sur un soulier.

Au fond c’est quoi patiner un soulier ? Appliquer sur un cuir une ou plusieurs couleurs ? Oui sans doute mais c’est un peu sommaire. La patine, comme la peinture, se déploie dans ses couleurs, dans le dessin parfois et dans les effets qu’on lui donne aussi bien en longueur, en largeur qu’en profondeur. L’œil conduit le geste.

Patiner c’est par exemple se saisir du bon outil au bon moment pour créer le brossé, les volutes, le moiré ou simplement l’uni. Patiner c’est anticiper les temps de séchage, les mélanges des teintures et la modification infime de leurs tons à la goutte près, selon la nature du cuir ou au combientième passage de couches on en est. Patiner c’est prendre en compte le support (plâtre pour la fresque, toile pour la peinture à l’huile ou le pastel et ici la teinture sur cuir), comprendre les aléas de la matière, comment les couleurs réagissent ou se superposent (parfois une patine c’est jusqu’à sept couleurs différentes !).

Sur un soulier, à l’inverse d’une toile, il faut patiner dans un espace mouvant fait de creux, de rondeurs, de coutures ou de perforations et que dicte la forme du soulier. Une contrainte supplémentaire !

 

Parfois cependant, les contraintes libèrent la créativité ; Karl a du cœur à l’ouvrage et met du cœur dans son ouvrage : “c’est très bien… la prochaine fois ce sera encore mieux” aime-t-il répéter après avoir achevé une patine, convaincu de pouvoir encore approfondir l’émotion que procure l’effet d’un contraste, d’une texture, d’un aplat.

Dans son crâne c’est un bouillonnement d’idées, de projets à venir, de questions folles ou poétiques : peut-on dorer un cuir à la feuille d’or ? Et utiliser un pistolet de tatoueur pour réaliser des motifs détaillés ? Les bijoux et parures qu’on trouve dans les tableaux de Van Eyck mériteraient qu’on les admire un jour sur une paire de souliers, vous ne croyez pas ?

Il ne s’agit pas de poudre aux yeux mais de pousser plus loin l’art de la patine, quitte à parfois tacler “le bon goût”, avec des propositions masculines, tranchées, assumées pour susciter l’intérêt, l’étonnement, le débat.

 

Or donc, chaque matin, Karl s’installe à son bureau dont le plateau en bois est maculé de taches séchées, d’éclaboussures colorées et il prépare sa journée. C’est d’abord un travail d’alchimiste : préparer les fameux mélanges (il utilise exclusivement de la teinture Saphir), nettoyer ses pinceaux  : on songe un instant à l’atelier de Francis Bacon mais sans les piles de journaux, coupures de magasines ni tout le désordre invraisemblable qu’il y avait !

Selon le travail, crayon mine, pinceaux bien sûr (poils courts, poils longs), brosses, éponges, chiffons, le pistolet à chaleur, les pots à mélanges, le tablier, gants, masque envahissent le plan de travail. Les gestes sont précis, minutieux ou amples, les souliers se dorent, prennent parfois des teintes pourpres, vertes, grises, s’assombrissent quand d’autres au contraire s’illuminent de jaunes, de bleus translucides et partent vers la lumière.

Le plus difficile parfois est de réaliser une patine simple, sans autre défi que la couleur unie, mais pas n’importe laquelle : retrouver par exemple – par de bons dosages de teintures, le gris irisé de vert tellement subtil de la courge “bleu de Prusse”, légume d’hiver extraordinaire ! Appliquer ensuite en plusieurs couches régulières ce mélange (longuement travaillé) sur un loafer et terminer par un beau glaçage en alternant cirages bleu, vert et noir pour amener encore plus de profondeur et de densité au nez et aux quartiers.

 

 

Une patine prendra en moyenne une dizaine de jours à réaliser et demande de la persévérance et la patience de l’artisan. La satisfaction, la surprise et parfois la joie vivement manifestée lorsque l’on présente un soulier patiné à son destinataire est la secrète récompense du coloriste. Karl observe alors du coin de l’œil un autre œil : celui, pétillant, de notre client ravi.

 

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Depuis plusieurs mois, la boutique Malfroid rue Saint-Honoré (à deux pas des musées du Louvre, d’Orsay, de l’Orangerie) propose et expose des patines qui rendent hommage aux grands peintres et à des chefs-d’œuvre connus et moins connus. Le défi est de taille : il ne s’agit pas de copier mais plutôt de réinterpréter dans un condensé de cuir toute la force et le génie d’une œuvre d’art.

Sacré programme nous direz-vous… eh bien Karl réussit pourtant cela à merveille, au grand étonnement des passants qui le regardent travailler et le photographient derrière la vitrine et à qui, pinceau en main, il répond par un salut de la tête dans un grand éclat de rire.

 

Ces patines extra-ordinaires, ce sera l’objet de notre prochain article !